LES INSTITUTIONS URBAINES
Au sein d'une société féodale et rurale, la nouvelle classe sociale que constituent les habitants des villes acquiert un statut juridique et politique particulier. Par l'octroi de chartes* de franchises* et de commune*, souverains et seigneurs concèdent aux villes une autonomie, parfois relative, et une organisation administrative.
L'ADMINISTRATION MUNICIPALE D'APRÈS LES « ETABLISSEMENTS DE ROUEN » (1165-1170)
1. Lorsqu'il faudra faire un maire* à Rouen, les cent qui sont constitués pairs* éliront trois prud'hommes de la cité qu'ils présenteront au roi, qui nommera maire celui d'entre eux qu'il choisira.
2. Parmi les cent pairs, vingt-quatre seront élus du consentement des cent pairs; ces vingt-quatre seront changés chaque année; douze d'entre eux seront nommés échevins* et les douze autres conseillers. Ces vingt-quatre, au début de leur année, jureront de maintenir les droits de la Sainte Église, de garder fidélité au roi et de maintenir sa justice; ils jureront aussi de bien juger eux-mêmes selon leur conscience, et si le maire leur confie un secret, ils le garderont; et si l'un d'eux le révèle, il sera révoqué de son office et mis é la merci de la commune*.
3. Le maire et les douze échevins se réuniront deux fois par semaine pour les affaires de la ville, et s'ils hésitent en quelque affaire, ils appelleront ceux des douze conseillers qu'ils voudront pour avoir leur avis. Les douze conseillers se réuniront chaque samedi avec le maire et les douze échevins; et de même chaque quinzaine le samedi, tous les cent pairs.
Trad. Arthur GIRY. Les Etablissements de Rouen... T. II. Paris, F. Vieweg, 1885 (Bibliothèque de l'Ecole des hautes études. Sciences philologiques et historiques. Fasc. 59) p. 5-11.
CONFIRMATION DE LA COMMUNE DE DIJON PAR PHILIPPE AUGUSTE (1183)
D'une ville à l'autre, les chartes* de commune présentent des dispositions très diverses. Certaines cependant, dont la rédaction semblait particulièrement judicieuse, servirent de modèle dans d'autres régions. La charte de la commune de Soissons, par exemple, donna naissance à plusieurs « filles », jusque dans le duché de Bourgogne : la ville de Dijon fut ainsi émancipée par le duc Hugues « selon la loi de Soissons »; le texte de cet acte a disparu, mais sa confirmation par Philippe Auguste en a été conservée (voir planche 7).
Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Amen. Philippe par la grâce de Dieu roi de France. Que tous présents et à venir sachent que notre fidèle et parent Hugues, duc de Bourgogne, a donné une commune* à ses hommes de Dijon, sur le modèle de la commune de Soissons, en maintenant sauve la liberté qu'ils avaient auparavant. Cette commune, ledit duc Hugues et Eudes, son fils, ont juré de la maintenir et de la respecter inviolablement. Sur la demande et à la volonté du duc et de son fils, nous prenons en main ladite commune, pour la conserver et la maintenir, de telle façon que, si le duc et ses héritiers voulaient enfreindre ladite commune ou résilier ses institutions, nous, dans la mesure où il sera en notre pouvoir, nous la ferons tenir. Et si le duc ne voulait pas le faire, nous !es recevrions, eux et leurs biens dans notre terre, en leur fournissant un sauf-conduit. Afin que la présente charte ait une valeur perpétuelle et inattaquable, nous avons ordonné qu'elle soit munie de notre sceau. Fait à Chaumont-en-Vexin, l'année de l'Incarnation du Seigneur MCLXXXIII, de notre règne la cinquième année, assistant en notre palais ceux dont les noms et les signa (1) suivent. Signum du comte Thibaut (2), notre sénéchal. Signum de Guy (3), bouteiller. Signum de Mathieu (4), chambrier. Signum de Raoul (5), connétable. Donné par la main (monogramme) de Hugues (6), chancelier. (Voir notes ci-dessous.)
Archives municipales de Dijon. Trésor des chartes. B. Liasse 2, cote I. Editions Henri-François DELABORDE. Recueil des actes de Philippe Auguste. T. I. Paris, Imprimerie nationale, 1916, p. 124-125, n° 101.
CONFIRMATION PAR LE PRINCE ÉDOUARD DE LA CRÉATION ET DES LIBERTÉS DE LIBOURNE (29 septembre 1270)
La politique des rois d'Angleterre dans leurs possessions continentales consiste à octroyer assez libéralement des chartes* de communes et de franchises aux villes déjà existantes et aux créations nouvelles, tout en les maintenant sous leur contrôle d'une manière plus étroite que dans le domaine capétien (voir planche 9). Les dispositions des « Établissements de Rouen », (voir ci-contre) servent généralement de modèle au régime municipal attribué par les Plantagenêts aux villes du sud-ouest de la France, d'où le nom de villes d'établissements » utilisé pour les caractériser.
Sachez que nous (7) avons donné, concédé et confirmé par la présente charte à nos aimés et féaux les bourgeois* de notre ville du port de Libourne, présents et à venir le droit d'avoir une commune* dans ladite ville du port de Libourne, avec toutes les libertés et les libres coutumes (8) qui appartiennent à la commune. Nous voulons et concédons que les bourgeois puissent parmi eux-mêmes élire chaque année et faire douze jurats*; et que ces douze jurats puissent chaque année élire deux prud'hommes de leur commune pour faire leur maire* de l'un d'eux. Ils feront lesdits jurats la veille de sainte Marie-Madeleine; le jour même de la sainte, ils éliront les deux prud'hommes qu'ils présenteront le lendemain dans le château de Bordeaux au sénéchal de Gascogne (9) ou à son lieutenant ou bien au connétable de Bordeaux (10); cette présentation faite, le sénéchal ou son lieutenant ou bien le connétable de Bordeaux doit donner aux bourgeois celui des deux qu'il voudra pour être leur maire; sinon lesdits jurats pourront par eux-mêmes prendre pour maire celui des deux qu'ils voudront. Ledit maire gouvernera la commune pendant une année et ainsi de suite.
Ladite ville de Libourne sera à perpétuité dans la main du roi d'Angleterre; elle ne pourra être mise hors de la main ni de la mense (11) du roi.
Lesdits bourgeois présents et futurs ainsi que leurs biens situés dans la ville, seront libres, francs et exempts de redevance imposée par nous ou par nos hoirs (12). Ils pourront (sans rien payer) entrer dans la ville, en sortir, y résider.
Nous voulons et concédons qu'ils ne soient tenus de faire le service d'ost (13) que dans les limites des diocèses de Bordeaux et de Bazas. Dans toutes nos possessions d'Angleterre, d'Irlande, de Galles et d'Ecosse, leurs personnes et leurs biens seront quittes, francs et libres de toute nouvelle redevance établie dans ces contrées. Pour payer les dépenses faites par la commune et par la ville, chaque homme de la commune sera obligé de payer une contribution, mais seulement selon ce que décideront le maire et les jurats.
Nous concédons auxdits bourgeois que nulle part dans les pays soumis à notre pouvoir ils ne pourront être molestés pour les dettes d'autrui, à moins qu'ils ne soient plèges (14) ou débiteurs principaux. (Ils ne le seront pas davantage) tant qu'ils seront prêts à se présenter en justice devant le maire de la ville à l'appel de leurs créanciers.
Traduction Charles BEMONT. La mairie et la jurade dans les villes de la Gascogne anglaise. Dans : Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, T. X, 1917, p. 247-249.
NOTES
1. Signe de validation tenant lieu de signature en bas d'un acte.
2. Thibaut Ier le Bon, comte de Blois et Chartres (mort en 1190).
3. Guy de Senlis.
4. Mathieu III, comte de Beaumont-sur-Oise.
5. Raoul Ier, comte de Clermont-en-Beauvaisis (mort en 1191).
6. Hugues du Puiset.
7. Edouard Ier, roi d'Angleterre en 1272.
8. Droits de la communauté des habitants de la ville.
9. Grand officier du roi d'Angleterre; l'étendue de ses fonctions fait du sénéchal une sorte de vice-roi dans le territoire qui lui est confié.
10. Officier du roi d'Angleterre.
11. Domaine royal.
12. Héritiers.
13. Service militaire.
14. Garants.
SERMENT RÉCIPROQUE PRÊTÉ PAR LE COMTE RAYMOND VII DE TOULOUSE ET PAR LES CONSULS (1195)
A l'apogée du régime communal, dans la France du Nord, le pouvoir seigneurial ne s'exerce plus guère dans les villes de commune*, même en matière de juridiction; les grandes villes marchandes de Flandre deviennent même des sortes de républiques autonomes. Il n'en est pas ainsi dans les villes de consulat* dont les habitants prêtent le serment féodal au seigneur; celui-ci, en contrepartie, s'engage d respecter leurs libertés.
Qu'il soit connu de tous présents et à venir que les consuls de la ville et du bourg* de Toulouse ainsi que d'autres prud'hommes ont confié — et ils l'ont juré sur les saints Evangiles — au seigneur Raymond, comte de Toulouse, leur vie, leurs membres, leur fidélité ainsi que la ville et le bourg de Toulouse, tous leurs droits, coutumes, usages et franchises (1) tels qu'ils les ont et doivent avoir, étant saufs et maintenus. Ceci fait, ledit seigneur Raymond, par la grâce de Dieu duc de Narbonne, comte de Toulouse, marquis de Provence, de sa propre volonté, a reconnu et convenu — et il l'a juré sur les saints Evangiles — à tous les hommes et femmes de la ville et du bourg de Toulouse présents et à venir qu'ils pouvaient croire en lui et lui faire confiance, comme envers leur bon seigneur. En outre ledit seigneur approuvé, concédé et confirmé à tous les hommes et femmes de la ville et du bourg de Toulouse présents et à venir, toutes les franchises et établissements (2) que le seigneur Raymond, son père et Alphonse, son grand-père, leur avaient donnés et concédés, à eux et à leurs prédécesseurs.
Cartulaire du consulat de Toulouse. Cartulaire du Bourg. Dans R. LIMOUZIN-LAMOTHE. La commune de Toulouse et les sources de son histoire (1120-1249)... Toulouse, E. Privat; Paris, H. Didier, 1932 (Bibliothèque méridionale. Deuxième série T. XXVI), p. 279.
1. Privilèges
2. Institutions
LE SERMENT COMMUNAL : SERMENT DU NOUVEAU BOURGEOIS DE NOYON (début du XIVe siècle)
On peut naître bourgeois* d'une ville mais on peut également acquérir la bourgeoisie*, avec tous les privilèges qu'elle comporte, si l'on remplit certaines conditions variables selon les villes (la plus fréquente est de posséder une maison et une fortune suffisante). Le nouveau bourgeois se lie par serment* à la communauté urbaine. Le plus ancien texte conservé concerne la ville de Noyon et remonte au début du XIVe siècle, mais cet engagement était obligatoire bien avant cette date.
Vous jurez, par la foi de votre corps, que vous requérez la bourgeoisie* sans vouloir frauder personne, sans avoir de dettes, sans vous sentir une maladie sur vous ou sur votre femme, sans être non plus de condition servile, et que vous êtes de condition libre et né en loyal mariage (1). Et sachez que si on découvre le contraire, votre bourgeoisie n'aura aucune valeur...
Vous jurez, par la foi de votre corps, que dans cette bourgeoisie où vous entrez, vous serez prud'homme et loyal envers chaque membre de la communauté et que vous ne conseillerez pas de forain (2) contre un bourgeois*, que vous obéirez à votre maire*, que vous payerez une portion de ce que doit la ville, en fonction de vos biens, et que vous ferez bien et loyalement tout ce qui appartient à la bourgeoisie.
Livre des bourgeois de Noyon. Dans : Abel LEFRANC. Histoire de la ville de Noyon... Paris. F. Vieweg, 1887 (Bibliothèque de l'Ecole des hautes études. Sciences philologiques et historiques. Fascicule 75) p. 53, note 1.
1. Un certain nombre de personnes ne peuvent être bourgeois d'une ville : les nobles, les clercs, les fonctionnaires royaux, toute une catégorie de "manants", ainsi que les hommes de condition réputée infamante : lépreux, serfs, enfants naturels.
2. Bourgeois qui ne réside pas dans la ville : la bourgeoisie entraîne d'ordinaire l'obligation de la résidence permanente.
COMMUNAUTÉS DE MÉTIERS ET ADMINISTRATION URBAINE : STATUTS DU CONSULAT DE CAHORS (1279)
Les communautés* de métiers, avec leur structure hiérarchisée, constituent un élément actif et prospère au sein des villes et leurs membres ont leur place dans l'administration municipale.
A Cahors, il doit y avoir douze consuls*. Il doit y en avoir six pour les bourgeois*... Il doit y en avoir un pour les marchands... un autre pour les tanneurs et les savetiers, un autre pour tous les métiers du marteau, un autre pour les cardeurs et les tisserands, un autre pour les bouchers et pour les hommes qui travaillent sur l'eau, un autre pour les tanneurs (1)... Le consul qui est pour les tanneurs et les savetiers doit être une année un tanneur et l'année suivante un savetier. Celui qui est pour tous les métiers du marteau doit être une année un charpentier, la seconde année un maçon, la troisième année un ouvrier du métal ou un orfèvre. Celui qui est pour les bouchers et les hommes qui travaillent sur l'eau doit être une année un boucher, la seconde année un poissonnier, la troisième année un pareur de draps. Celui qui est pour les cardeurs et les tisserands doit être une année un cardeur et l'autre année un tisserand... Ils doivent prêter serment. La formule du serment est la suivante : ils jurent qu'ils seront consuls pendant un an... qu'ils garderont et défendront, dans La mesure où ils le pourront, les franchises, coutumes et usages de la cité, qu'ils géreront les affaires de la ville avec bonne foi et loyauté, équitablement envers les plus riches et envers les plus pauvres et envers tous.
Livre tanné de l'ancienne commune de Cahors Dans : Gustave FAGNIEZ. Documents relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France. T. 1. Paris, A. Picard, 1898 (Collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire), p. 287-290.
1. Le consul des tanneurs est cité deux fois, vraisemblablement par suite d'une erreur du copiste du cartulaire.
LES CONSULS DE TOULOUSE EN 1393-1394
A Toulouse, ville à la population importante, les « capitouls* » représentent les différents quartiers. (Voir planche 12).
L'année du Seigneur 1393, le 10e jour de mai, ont été élus et nommés dans la maison commune (1) de Toulouse par noble et puissant seigneur Bernard de Grésignan, chevalier et viguier* royal de Toulouse, pour exercer la noble et honorable charge de capitoul de la ville et bourg* royaux (2), les seigneurs capitouls inscrits ci-dessous : premièrement pour le quartier de la Daurade et de Saint-Pierre-Saint-Martin : le seigneur Jean Flamenchi. Pour le quartier du Pont vieux et de la Dalbade : le seigneur Pierre de Casilhac, licencié en droit. Pour le quartier de Saint-Barthélemy et de Saint-Pierre : le seigneur Jean de Puybusque. Pour le quartier de Saint-Etienne : le seigneur Pierre de Gallo, licencié en droit. Pour le quartier de Saint-Romain : le seigneur Pons de Gaure. Pour le quartier de Saint-Pierre-des-cuisines et de Saint-Julien : le seigneur Bernard-Raymond Blasin. Pour le quartier de Saint-Sernin : Pierre de Castelnau. Pour le quartier du Tour : le seigneur Bertrand de Palis, damoiseau, seigneur de Tarabel. Et on leur a donné pour accesseurs pour la cité : le seigneur Jean de Mannhac, licencié en droit canon; pour le bourg* : le seigneur Raymond Embrun, licencié en droit canon. Leurs syndics* sont, pour la cité : Jean Gilibert, pour le bourg : maître Pierre Roberti. Et leur trésorier était Raymond de Puybusque. Leurs notaires : maître Bertrand Fabre... maître Pierre de Guilbamat.
Archives municipales de Toulouse. I, fol. 3 v•, chronique 93.
1. Hôtel de ville
2. Voir planche 5 figure A2
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